Apporter une solution concrète à tous les problèmes rencontrés, tel est le péché mignon de beaucoup de dirigeants et entrepreneurs français (j’y inclus même ceux qui ne sont pas d’origine française). Pourquoi cette attitude dans notre culture ? Bien sûr, l’entrepreneur doit résoudre des problèmes et supprimer les difficultés, mais une telle conception de son rôle est réductrice. S’imaginer que tous les problèmes ont une solution est une erreur, penser que toutes les difficultés peuvent se résoudre, une ânerie. Voilà le péché mignon des entrepreneurs et dirigeants français qui peut devenir très vite péché fripon !
Michel CICUREL rapporte que l’ancien ministre américain HAIG disait à propos d’Israël et du monde Arabe : « La France voudrait que tout problème ait une solution. Or, l’art de la diplomatie consiste précisément à gérer des problèmes sans solutions, de telle sorte qu’ils ne dégénèrent pas en conflits. »
Vouloir solutionner les problèmes, prétendre dénouer toutes les difficultés provoque tôt ou tard un défaut dans la cuirasse de tout dirigeant quel qu’il soit. Ce défaut de cuirasse est mortel s’il n’est ni perçu ni corrigé à temps. Il attire la foudre, génère un mauvais stress et prétèrite l’intelligence.
Un dirigeant est assiégé par toutes sortes de sollicitations et de renseignements à fournir, bien au-delà de la normale :
– les clients exigent des prix bas, râlent très vite et ne sont pas toujours honnêtes ;
–
certains fournisseurs et banquiers écoulent d’abord leurs produits
avant de rechercher le véritable intérêt de leur client (qui est
pourtant le leur au final) ;
– les salariés ont besoin de suivi et de directives ;
– les administrations, qui ne font aucun cadeau, préfèrent souvent s’en prendre aux plus vulnérables, etc.
Cette simple énumération réclame des solutions sans appel. La tentation est alors grande de tout solutionner, de vouloir l’unité et la cohésion à tout prix, dans tous les domaines. Une entreprise « unifiée », c’est-à-dire exempte de conflits où tout est réglé, n’existe pas. S’imaginer que l’on peut tout ordonner par des solutions appropriées est non seulement un leurre mais un piège fatal.
Diriger une PME ou une TPE est complexe mais passionnant. Les sujets de gestion les plus importants d’un chef d’entreprise n’ont pratiquement jamais de solutions, c’est une constante de l’entreprenologie. Certes, une bonne gestion doit veiller à ce que les problèmes et les difficultés ne dégénèrent pas en conflits qui pourrraient mettre l’entreprise en péril. Mais la véritable gestion se découvre dans l’incertain, se déploie dans le vulnérable et se vit dans le « sans-solution ». C’est-à-dire là où la pensée progresse et se transforme : sur le terrain de l’action décisive, rapide et continue, un endroit clé à préserver et à garantir pour « gérer les problèmes sans solution ».
Les secteurs « sans solution » se gèrent par la décision, par ce que l’entreprenologie appelle « l’action décisive ». Cette dernière demande temps et énergie. Elle paraît insaisissable, comme invisible au non-averti. Elle reste au carrefour des problèmes qui n’ont pas de solution et provoque une fracture, une fin de parcours, un changement de direction finalement. Elle propose une alternative nouvelle : une stratégie inattendue à suivre. Elle caractérise l’excellence du métier du chef d’entreprise.
Dans la réalité, décision et solution doivent faire bon ménage. Le « top » de l’entrepreneur est de prendre et de gérer lui-même ses décisions et de confier à d’autres la gestion de ses solutions. Faire fi d’une telle posture, c’est s’exposer, tôt ou tard, à tomber dans le « péché fripon » de la gestion.
Jean-Marie Clavel
Article 3, septembre 2010, Articles et Publications OGC-H