L’entreprise est un “mouvement”. Qui dit mouvement dit action, bouillonnement, impulsion, remous, changement, mobilité, mais aussi stress, angoisses, déprimes, etc. Le mouvement produit aussi bien évolution et progrès que recul et décrochage. Et le mouvement d’ensemble suscite agitations, contrastes, renversements et transformations. La pensée, la mémoire et la volonté sont les actrices du mouvement, les motrices du va-et-vient incessant, modifiant et réformant en permanence les façons de faire, les décisions, les niveaux de vie et les genres de vie. Le mouvement provoque chez tous les humains des ondes tourbillonnantes que Jean-Claude Hubert1 appelle le magnifique mouvement des mémoires.D’où viennent ces trois motrices du mouvement que sont la pensée, la mémoire et la volonté dont l’entrepreneur a tant besoin pour créer et pérenniser des activités économiques et sociales ? Et comment ces facultés peuvent-elles être utilisées au mieux à l’avenir dans l’entreprise ?
Pour Jean-Claude Hubert, la pensée, la mémoire et la volonté des hommes suscitent le mouvement qui parvient à créer, raccorder, rassembler et cumuler les existences particulières de chacun de nous. Bien que spécifiques, distinctes et identifiables, les existences particulières de chacun de nous ne sont pas suffisamment éclatées au point d’être séparées, hiérarchisées, cloisonnées et indépendantes les unes des autres. Ainsi, même en pleine évolution et transformation, jamais le mélange des pensées diverses, l’enchevêtrement des multiples mémoires et le croisement des volontés, ne font disparaître le fonds central des existences particulières. Chez Hubert, pensée, mémoire et volonté évoluent en se découpant mais sans supprimer les éléments de la découpe. Ce fonds central affirmé par Hubert peut-il servir et avantager les entrepreneurs de PME, de TPE et de TTPE2 ? Si oui, en quoi ?Par les temps qui courent, l’entrepreneur ne perd pas de vue que les vraies activités économiques et sociales sont toujours le résultat d’une évolution de la pensée, de la mémoire et de la volonté, véritables fers de lance et premières lignes de l’économie d’entreprise. Les temps qui courent produisent des circonstances, de nouvelles opportunités et du mouvement. Par ricochet, ils produisent des réactions créatrices3 qui introduisent l’entreprise dans ce qu’on va de plus en plus appeler la bioéconomie ou le temps biologique de l’entrepreneur. Mais alors pourquoi les sociétés actuelles s’orientent-elles, bon an mal an, vers ce temps qualifié par beaucoup de “temps biologique” qui entraîne inexorablement l’entrepreneur vers la bioéconomie ?Les trois approches d’Hubert montrent le cheminement suivi par la pensée complexe, la progression de la mémoire métissée et la constance de la volonté humaine. Ces approches ne font pas table rase du passé, bien au contraire, elles l’apprivoisent pour vivre le présent et l’utilisent pour assurer le futur. Pour mieux comprendre la permanence du mouvement, voyons en quelques mots les approches de Jean-Claude Hubert : l’approche cyclique avec ses aspects fondamentaux spécifiques, l’approche linéaire avec ses propres fondamentaux enfin l’approche du biocentrisme et ses constantes.
Le temps de la chasse et de la cueillette ou l’approche cyclique Les fondamentaux de l’approche cyclique concernent la nourriture, l’habillement et la migration. La chasse, la pêche, la cueillette donc la nature, la quantité du gibier, l’abondance dans les cours d’eau, le climat, le feu, le vent et la végétation y sont les rouages essentiels de la vie. On est encore dans l’absence d’écriture et de l’Histoire.Les fondamentaux humains de cette approche cyclique sont la nomadisation, la vie regroupée en tribus, l’oralité, la parole, le cri. La gouvernance se fait par le matriarcat : la femme reproductrice est prépondérante parce qu’elle est maîtresse de la fécondité et de la vie.Certes, peu d’éléments concernent apparemment une PME, TPE ou TTPE, à ceci près tout de même qu’on perçoit déjà que tant qu’il y a des hommes, il y a des besoins de nourriture et de gouvernance.
Le temps de l’agriculture ou l’approche linéaire Les civilisations de l’approche cyclique se sont transformées progressivement en adoptant l’agriculture. Puis, elles ont totalement disparu. Anéanties. Avec l’agriculture qui est une véritable révolution technologique arrive l’invention de l’écriture qui est une seconde révolution technologique. Elle détruit l’oral. Avec l’écriture, on entre dans la souvenance, on construit le souvenir et la mémoire, on introduit le passé. S’il y a un passé, il y a un futur, donc une date, une chronologie et finalement une Histoire. S’il y a Histoire, il y a le temps. S’il y a Histoire, il y a un commencement et une fin. Le religieux juge alors que la création (un commencement) a eu lieu et que par conséquent il y aura un jugement dernier (une fin) .S’il y a un commencement et une fin, c’est qu’il y a des causes et des conséquences. Cela veut dire que dans l’approche en ligne continue, linéaire, il n’y a pas de renouvellement systématique des choses comme dans l’approche cyclique (on n’attend plus les saisons, les fruits, les migrations, les reproductions, etc.) mais on façonne dans le temps, on est dans une approche linéaire en continue. Avec les causes, on approuve, on juge, on se disculpe, on se défile et on renie aussi. Avec les conséquences, on peut corriger, rectifier, modifier, reprendre. À tout instant, on recherche les causes extérieures de son propre destin. On en vient au dualisme du bien et du mal, du pour et du contre, du blanc et du noir. La découverte des causes et des conséquences donnent naissance à l’universalité des choses et des êtres, à l’hérédité et surtout à la hiérarchie avec l’arrivée des dynasties héréditaires qui disent apporter la stabilité et pouvoir éviter ainsi les guerres de succession et de possession. Mais qui dit hiérarchie et stabilité dit aussi prestige, longévité, acceptation peu démocratique, déséquilibre, servitude. L’invention de l’agriculture est une révolution technologique parce qu’elle supprime le nomadisme de l’approche cyclique au profit de la sédentarité. Les travaux agricoles, les récoltes et les réserves alimentaires et autres doivent être protégées et gardées. Des fortifications sont mises en place et des armes sont inventées et forgées pour cela. En outre, les bras devront être de plus en plus forts et de plus en plus nombreux pour semer, élever, récolter, engranger, transformer et transporter. Le patrimoine va donc se constituer. Il va falloir en plus le défendre. La prépondérance de la femme qui est chef dans l’approche cyclique parce qu’elle est la reproductrice et la fondatrice de l’éducation, est remplacée par le défenseur du patrimoine. Il faut protéger les récoltes contre toutes les espèces de prédateurs. Le patriarcat se substitue ainsi au matriarcat. Mais, l’apprentissage de l’écriture, conséquence de la sédentarité, est difficile à tous points de vue. Le transport de l’écriture aussi. Les supports de bois, de pierre, d’argile, de plantes puis de peaux sont d’un maniement lourd, coûteux, délicat et très lent. Finalement, seules quelques castes sociales accèdent à l’écriture. Elles vont constituer une élite quasiment étanche, ésotérique et hermétique au plus grand nombre. Ces castes sociales privilégiées se renforcent. Paradoxalement, elles sont aidées et favorisées dans leur développement de castes privilégiées par la résistance farouche des peuples de la civilisation orale qui luttent de toutes leurs forces contre la nouvelle adoption de “cet écrit” trop complexe et fatigant.
Les conséquences de l’approche linéaire créent au moins deux phénomènes qui aboutissent à deux modes de pensée : le théocentrisme et l’anthropocentrisme. C’est : – l’abandon du polythéisme qui apprivoisait les dieux par des sacrifices (l’immanence) et laisse la place à la conscience d’une force supérieure (transcendance) centrée de plus en plus sur un dieu unique et donc vers le monothéisme. Le judaïsme, le christianisme et l’islam donneront naissance au théocentrisme – les philosophies d’humanismes qui arrivent par la suite et sont centrées sur l’homme et débouchent sur l’anthropocentrisme.
Le temps de l’agriculture est une approche linéaire de l’évolution et l’approche industrielle un succédané du temps de l’agriculture. Ce temps linéaire apporte et favorise l’apprentissage, l’enseignement, la connaissance et le savoir.Aujourd’hui, l’approche cyclique et l’approche linéaire sont au bord de la débâcle. Même l’approche industrielle est en voie de disparition, non pas que l’industrie disparaisse mais que l’approche industrielle et sociale elle-même est en train de disparaître. Les produits industriels seront nécessaires mais ils seront, dans nos sociétés occidentales, fabriqués par la robotisation. La disparition de l’approche linéaire démontre que les humanismes linéaires avec leurs causes et conséquences idéologiques n’ont plus court. Leurs vertus « n’ont plus la cote ». Leurs fondateurs sont aux abonnés absents. De nouveaux fondamentaux se substituent aux anciens. Pour Jean-Claude Hubert, c’est le biocentrisme qui arrive.
L’approche du biocentrisme et la bioéconomie de l’entrepreneur Le biocentrisme d’Hubert se caractérise par des constantes qu’on peut résumer ainsi : – l’interactivité domine et supprime ou banalise de plus en plus les causes – la référence ponctuelle et l’incertain remplacent la règle classique, le postulat, la norme et le dogme – l’individu fait son choix d’existence et se justifie avec sa propre règle de l’instant – les medias, l’image, la couleur, le son, le temps présent et le court terme l’emportent sur l’écrit, le silence, la réflexion approfondie – la tendance au repli sur soi renâcle à l’apprentissage, à l’écoute, au dialogue et à l’écrit.
Fort des ces tendances, le biocentrisme produit des comportements, des pensées, des mémoires et des volontés aussi variés que complexes. On les repère aux formes suivantes : – la participation de tous ou des uns et des autres : c’est la démocratie participative – la coévolution sans distinction de tous les êtres quels qu’ils soient – l’interdépendance, la compréhension et la compassion entre tous les vivants – l’abandon des clivages sexes, professions, politiques, sociaux, économiques, religieux, culturels, cultuels, vestimentaires, comportementaux, vocabulaires, etc. – le culte du vivant pour le vivant humain, animal, végétal, minéral, spacial – la prévention, la précaution, la défense, la victimisation, les médecines douces, l’alimentation bio, le commerce équitable – l’éthique plus émotionnelle et sensible que rationnelle – l’enfant comme référent essentiel – les réseaux de compétences et d’influences – etc.
Autour de soi, le temps de la semaine se banalise et se raidit à la fois. Les magasins s’ouvrent 7 jours sur 7 et de nuit. Le détricotage ou le “déverrouillage” des heures de travail. Écologie, éthologie, bionomie, agrobiologie, bioénergie, biocarburant, homéopathie, architecture bioclimatique, principe de précaution, menace sur la biosphère, interdiction de toute violence prennent des proportions inouïes. Le droit au plaisir, la féminisation, la parité, la protection des animaux, l’enfant-roi, le multi-culturel, la multi-politique jusqu’à la journée de la femme, des maris, des arbres, des fleurs, etc. autant de sujets qui deviennent des rites quasiment sacrés ou religieux. Ces nouveaux comportements, constances et tendances secouent l’entreprise d’aujourd’hui. Et demain sera pire. Ils appellent à des révisions déchirantes car pour produire et vendre des activités économiques réelles, durables et rentables, ils faudra faire appel à l’économie de la connaissance, du savoir et donc à une nouvelle intelligence4. Pourquoi ? Parce que contrairement aux apparences, les comportements humains, aussi disparates soient-ils, convergent vers un tout central strictement humain impossible à éliminer, à séparer ou à cloisonner. L’activité économique demande d’avoir une vision d’ensemble, de savoir faire synthèse des nombreux paramètres éclatés et contradictoires suscités par la multitude des besoins et les désirs inassouvis des prospects et des clients. L’activité économique exige la maîtrise des méthodes de raisonnement, des techniques d’application autant que la pratique des sensibilités humaines. Quand les comportements, constances et tendances semblent se disloquer, s’évader et se déchirer parce qu’exacerbés par l’individualisme et l’égoïsme le plus total, il reste toujours un point central. Les forces centripètes qui convergent chez tout individu ramènent toujours vers un centre les constantes, les tendances et les comportements communs. Le succès ou l’échec d’une activité économique peut passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, par le respect ou l’irrespect de dispositifs culturels, sociologiques, psychologiques, commerciaux, administratifs, financiers, juridiques et de gestion. Le succès ou l’échec peut être dû à des visions personnelles idéales, utopiques ou farfelues, rationnelles ou irrationnelles. Du plus profond du succès ou de l’échec, il y a toujours un dénominateur central et commun de l’intelligence humaine qui veille et entretient la flamme et l’énergie. Ce dénominateur n’est autre que la lucidité, celle qui permet de localiser le réel, de cerner l’irréel pour comprendre et inventer la ressource. Pour retrouver la lucidité économique et sociale, il est nécessaire d’éviter l’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes décrit par Jean-Claude Michéa et de pousser l’Ecole à l’apprentissage du jugement et des valeurs. Un chef d’entreprise joue sur le présent et anticipe l’avenir. Il mesure la valeur réelle des êtres et des choses qui l’entourent pour repérer et évaluer le lien entre ses idées personnelles et le réel qu’il affronte. Savoir cela est essentiel même si les illusions, les erreurs, les divagations et les échanges issus des décisions sont parfois décevants et cruels. Malgré le succès ou les échecs, le retour des comportements communs vers le point central de l’humain est inexorable. C’est la chance de l’entrepreneur de comprendre cela. Rien de nouveau sous le soleil ? Si, beaucoup de choses sont nouvelles parce que justement les choses changent constamment tout en conservant un noyau essentiel, le point central profondément humain. Constantes, tendances, approches et comportements idéologiques retournent toujours vers le centre essentiel vers le lieu de l’intelligence mature. Malgré leurs dispersions et leurs éclatements, le retour, la jonction et le rassemblement des comportements vers le point central commun sont continus. Ils permettent à leur tour de créer de nouvelles visions, de nouveaux paramètres et de nouvelles réalités à exploiter.Comme l’écrit René Passet, les valeurs à vivre, la psychologie évolutive, l’environnement, les structures nouvelles sortent du cadre de nos anciennes règles. “Les conventions simplificatrices ont vécu : l’économie est condamnée à retrouver sa vraie nature d’activité finalisée par la satisfaction des besoins humains et transformant… les milieux physiques ou vivants sur lesquels se développe la vie des hommes. Le temps de la bioéconomie est venu.”5 En entrant dans le biocentrisme, l’entrepreneur fait de la bioéconomie.
L’Entreprenologie, pédagogue du biocentrisme et partenaire de la bioéconomie dans la PME et la TPE Quant à l’entreprenologie6, elle initie au biocentrisme en facilitant l’entrée dans la bioéconomie. Ses techniques de raisonnement et d’applications telles que les coefficients de préactivité, les plates-formes des besoins types, la typologie des entrepreneurs et les systèmes dominant de gestion, permettent à l’entrepreneur de créer des activités économiques rentables et durables tout en maîtrisant les sensibilités sociales. De nos jours, pour assurer son développement, l’entrepreneur doit ajouter au produit et au service rendu des valeurs sociales et culturelles et fournir des prestations qui ne dégradent pas les conditions de la vie humaine, ne détruisent pas les relations des hommes entre eux ou avec leur milieu de vie et comme le dit Passet où les fonctions de la nature et de la reproduction puissent continuer d’exister. Les valeurs sociales de philosophie, d’éthique, de morale, de bien-être ne se résument pas à l’économique car les lois de la nature échappent aux lois du marché7. Ce qui compte, c’est le bien-être des hommes et leur peine, leur besoin de compréhension et de sens. Finalement, les techniques de raisonnement et d’applications de l’entreprenologie permettent l’accès à la bioéconomie qui est le bagage et l’instrument de voyage dans le biocentrisme et ses sensibilités. Sans renoncer à l’indispensable effort d’industrialisation avec une politique industrielle forte et nouvelle autour de grands projets engageant par contrat les actionnaires, les personnels, les dirigeants et les conseils d’administration, le champ d’ouverture au biocentrisme et aux temps biologiques des PME, TPE et TTPE est immense. Jean-Claude Hubert nous invite à ne pas manquer ce tournant vital et historique pour sortir de la société classique de capitaux héritée du XIXième siècle. Enfin, à tous ceux qui penseraient que l’économie d’entreprise n’est pas une science exacte parce qu’elle ne réalise jamais concrètement ce qu’elle prévoit, il est possible de dire que si l’économie d’entreprise n’est pas une science, les techniques de montage d’un coefficient de préactivité, d’une plate-forme de besoins types, d’une typologie d’entrepreneur ou d’un système dominant de gestion sont devenues des outils performants d’accompagnement au même titre qu’une science. Si le biocentrisme est le nouveau régime de société (paradigme), la bioéconomie en est le l’étalon économique. Si la définition de l’économie d’une PME, TPE ou TTPE reste toujours l’organisation rationnelle des choses rares, utiles et fabriquées au moindre coût dans un environnement adéquat, on peut aussi la définir à la manière de Jean-Claude Barreau qui écrit : “Comme la politique, dont elle est l’un des visages, l’économie n’est pas une science, c’est un art, au sens d’artisanat : une manière de gérer la réalité.”8 Qui dit mieux pour gérer la réalité mais aussi pour la faire évoluer grâce au mouvement dont la pensée, la mémoire et la volonté sont les actrices ? Nous avons besoin d’une bonne gestion d’entreprise pour entrer dans le biocentrisme et la bioéconomie |